lundi 22 novembre 2010

Le bonheur chez Kiarostami (1ère sortie de territoire - La Toscane)

Abbas Kiarostami est ce réalisateur iranien dont l’œuvre pourtant « cinégénique » (probablement grâce à la qualité de sa photographie) nous ennuyait prodigieusement tandis que certains cinéphiles s’obstinaient à nous la tendre et nous la retendre alors même qu’après  Le vent nous emportera et Le Goût de la cerise, on n’en attendait plus rien tellement il ne s’y passait rien, ni en salle ni lors de nos séances de rattrapage sur DVD.
La cerise avait un arrière goût de l’Uzac de Nuri Bilge Ceylan, cet autre réalisateur, turc et lui aussi très bon photographe, qui peignait la difficulté du vivre ensemble de deux frères que la crise économique faisait se rejoindre dans la capitale, dans un appart exigu dont l’aîné n’avait pas envie de partager en soirée le salon lorsqu’il se masturbait devant son home cinéma (plan long, lent, inutile et profondément ennuyeux).

Comme on aurait pu attendre que Ceylan nous parle un peu de sa Turquie, on attendait que Kiarostami nous parle de l’Iran. De sa population étouffée sous l’islamisation de l’ordre social (depuis 1979), comme avaient osé le faire depuis l’étranger bon nombre de ses collègues obligés de s’exiler en vue d’une création autre que « pure », autre que « débarrassée de toute vulgarité », telle que les barbus, épurant leur production nationale, la voulaient.
Abbas n’est pas parti. Mais il a dit :
 « Si vous prenez un arbre qui est enraciné dans la terre et si vous le replantez en un autre endroit, l'arbre ne produira plus de fruits et s'il le fait, le fruit ne sera pas aussi bon que s'il était dans son endroit originel. C'est une règle de la nature. Je pense que si j'avais fui mon pays, je ressemblerais à cet arbre. »
C’est donc sous l’égide du ministère de l’Éducation de ces années-là qu’il commettra dans les années 80 Hygiène dentaire, Avec ou sans ordre,  Le Chœur,  Le Concitoyen… tandis que sortiront à l'étranger "L'Iran dans les affres de la révolution" de l’Association des étudiants iraniens, "Le Ballon blanc" de Jafar Panahi, "Recherche" d’Amir Naderi, "La Pomme", "Le Cahier" et "Le Tableau noir" de la famille Makhmalbaf, …

Le Goût de la cerise, qui avait reçu sa Palme d’or, ne fut validée par les autorisés iraniennes que la veille de la remise du palmarès au Festival de Cannes, lors qu’elles eurent imposer leur suprême modification (un morceau musical de Louis Armstrong dans la bande son fut remplacé par de la musique traditionnelle).

L'original ou la copie ?
Dans la nouvelle vague iranienne en ces années 2000, quand Abbas rejoint Juliette, c’est une première sortie d’Iran pour une traversée de la Toscane dans un conformisme de miroir où le son rattrape l’image. L’image de soi, de l’autre -cet autre intime, dans une contemplation moins aride que les paysages auxquels on était habitué même si les mariées, revenues à leur nuit de noce initiale, sont désillusionnées. Les statues ont une fonction symbolique.
L’art, la responsabilité parentale, le fils qui cherche ses limites durant l’absence prolongée du père, l’amour (de sa re-naissance à ce qu'il en resterait), le portrait saisissant d'une Joconde dont l’original est à Pompéi, le vin bouchonné moins bon que le nôtre mais meilleur que le vôtre, apparences, mensonges, jeux en trois langues (anglais, italien, français) : une ligne de fuite plus proche de nous, qui ouvre enfin à deux heures de dialogues, et peut-être bien à deux heures d'un bonheur auquel on ne croyait plus.

Mais du bonheur chez Kiarostami (s'attarderont les puristes) est-ce que ce ne serait pas le signe d'un cinéma qui viendrait rompre avec ses origines, sa genèse culturelle et qu'on aurait fait spécialement pour nous, occidentaux? Ce bonheur-là ne serait-il qu'une pâle copie du bonheur?
On s'en fiche car il était grand temps de nous la faire, cette sortie de territoire!


 Copie conforme est aujourd’hui interdit en Iran.
Javad Shamaqdari, vice-ministre de la Culture, justifie cette décision en raison de l'habillement de Juliette Binoche ( ?) et de la distribution (américaine).
Copie conforme, ça restera aussi comme un mois de mai où Jafar Panahi, emprisonné depuis janvier 2010, fut remis en liberté. Surveillée.

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